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Anne-Marie Fijal ou le piano ouvert
de
Nancy Huston
« Elle arrive, Fijal, musique dedans, musique dehors, avec ses indices terrestres. Elle s'assoit au clavier et ce n'est pas comme d'habitude, parce qu'elle sait que pas de ciel sans terre. Que pas de chant angélique sans ventre ténébreux. Et surtout pas de moi sans l'autre, les autres. C'est une artiste unique à cause de ça. Elle a voulu- et puis d'une façon étonnante su- ouvrir le piano ; l'ouvrir en univers. Touches cordes ivoire cuir bois. Air eau feu métal. Les éléments. Les émotions. Caresse et cri. Cette chose, la toucher toute, la faire respirer, gronder ; traverser les espaces, les époques, les extrêmes d'articulation de désarticulation, perles de pluie et martèlement militaire, Sturm and drang, exquise délicatesse.
L'ouvrir aussi vers d'autres arts, d'autres individus, d'autres formes de création. Théâtre, cinéma, radio, composition, studio. Jeu, lumière, chatoiement, corps, couleur, machine, voix, maison, tambour, forêt. Arpenter de nouveaux territoires. Construire des dialogues inouïs, jeter des ponts, explorer des étendues aussi vastes que précises.
Fijal prend le piano et l'ouvre, le porte vers d'autres mondes. Elle enroule ses notes autour des visages et des voix. Sur la scène, sur l'écran, dans les airs donnant toujours de soi mais écoutant, regardant, exigeant le regard et l'écoute de l'autre. Faisant ressortir les harmonies secrètes des mots et des images avec une prédilection pour les géants de la Russie et de l'Allemagne : Murnau, Goethe, Tchékhov, Tsvétaëva…Beethoven, Schumann… Mais aussi Fijal. Oui l'autre ; serait-il soi. Soi toujours autre, qu'on le veuille ou non. Le savoir.
Jouer avec soi comme avec un autre, les sonorités de maintenant embrassant celles d'antan, la musique live se mariant à la dead, fracassant ces catégories simplistes pour jouer en palimpseste et se respecter, parce que la musique est toujours affaire de respect ; Respect des temps, des tonalités, des nuances, des accords et des désaccords. De la présence et de l'absence. Des vivants et des morts. Le soi de chaque jour s'éteint, se perd irrémédiablement avec la nuit…alors que Beethoven et Colette Magny, chaque fois qu'on les écoute ressuscitent.
La musique n'est autre chose que cela, cet accueil fait à la mort au sein de la vie, cette célébration de l'éphémère dans son immuable splendeur. Et Fijal, généreuse, ingénieuse, inventive, discrète, nous le montre comme personne. »
Nancy Huston, écrivain
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